Les tours de Pois-Vert |
Auteur: ??? |
Une fois, c��tait un riche seigneur qui s�appelait Bienassis et qui avait un serviteur nomm� Pois-Vert. Ce serviteur avait jou� tant de tours � son ma�tre que celui-ci avait fini par le renvoyer. Pois-Vert s��tait amass� ben de l�argent durant qu�il �tait engag�, de sorte qu�il avait pu acheter une maison tout � c�t� du ch�teau du seigneur, le long d�un chemin que ce dernier suivait quand il s�en allait � la chasse.
Donc, un matin qu�il savait que Bienassis devait sortir pour tirer le li�vre, le dr�le le guetta sur le pas de sa porte. Lorsqu�il le vit approcher, il rentra, prit sa marmite o� cuisait sa soupe, la posa sur une table pr�s de la fen�tre et, juste comme le seigneur passait, jeta dans la marmite plusieurs gros morceaux de fer pr�alablement rougis au feu. La soupe se mit � fumer et � cracher. Lui, Pois-Vert, avait saisi un fouet et fouettait le r�cipient en disant � chaque coup:
-Bous, ma soupe!
Bienassis s�arr�ta stup�fait de voir bouillir cette marmite loin du feu tandis que Pois-Vert la fustigeait.
-Mon ami, demanda le seigneur, comment se fait-il que la soupe fume et crache si loin du feu?
-Mon ma�tre, r�pliqua l�autre en saluant bien comme i�faut, le secret est dans mon fouet. C�est lui qui fait bouillir la marmite.
Bienassis fut fort �merveill�.
-Voil�, s��cria-t-il, qu�est ben utile et m��pargnerait des servantes qui mangent tout mon avoir et qui ne font pas grand�chose. Veux-tu me c�der ce fouet?
Le goglu1 parut r�fl�chir. Ce fouet, il l�avait confectionn� ce matin m�me et il ne lui avait rien co�t� que sa peine. Il r�pliqua cependant:
-Pour vous rendre service, je veux ben vous le vendre et, sur mon �me, je ne gagne rien dessus. Le sorcier de qui je le tiens en a exig� cent piastres2.
Le seigneur, qui �tait avaricieux, compta rapidement ce qu�il �conomiserait de feu et de gages. Il se d�cida:
-Je te l�ach�te.
Bienassis donna en soupirant l�argent que son ancien domestique r�clamait. Il prit le fouet sous son bras et rentra directement chez lui, tant il avait h�te d�exp�rimenter son acquisition.
Ce n��tait pas l�heure de son repas; il se contenta de commander � une servante de lui apporter sa th�i�re remplie d�eau froide. D�s que le r�cipient fut devant lui, il le fouetta comme il avait vu faire � Pois-Vert.
-Bous, th�i�re! ordonna-t-il.
La th�i�re ne bouillait pas et l�eau demeurait r�solument froide. Dix fois, vingt fois, il renouvela l�exp�rience. Toujours sans r�sultat. En l�entendant jurer et temp�ter tout seul, ses servantes �taient accourues. Elles crurent que leur ma�tre �tait devenu fou. L�une d�elles s�enhardit:
-Que voulez-vous donc faire � c�t�heure, not�ma�tre, avec cette th�i�re et ce fouet?
Tout en sueur, las de fouetter le r�cipient, Bienassis se tourna vers la domestique et lui r�pondit:
-Cette eau doit bouillir si je fouette la th�i�re avec ce fouet.
-Et o� donc l�avez-vous achet�, ce fouet?
-Je l�ai achet� � Pois-Vert, m�me qu�il m�a co�t� cent piastres.
� ces mots, la servante �clata de rire et toutes les autres firent de m�me. Bienassis �vita de demander une explication, ayant compris que l�on se moquait de sa na�vet�. � J�irai demain voir Pois-Vert et il se repentira du tour qu�il m�a jou�.�
L�ancien domestique apprit la col�re du seigneur et sa r�solution de venir le ch�tier. Il l�attendit tout comme s�il avait eu la conscience en repos. Cette fois, il se trouvait dans sa cuisine avec sa femme lorsque Bienassis parut en haut du chemin.
-La Catherine, dit-il � son �pouse, tu te souviens ben de ce qui a �t� convenu?
-Certainement, mon mari, r�pliqua Catherine.
Il faut dire qu�un peu avant, Pois-Vert avait attach� au cou de sa femme, en dessous de sa guimpe, une vessie contenant du sang de mouton. On va voir pourquoi.
Furieux et le b�ton lev�, le seigneur fit son entr�e dans la maison de Pois-Vert.
-Mis�rable, hurla-t-il, les yeux brillants de col�re, tu t�es moqu� de moi avec ton � bous, ma soupe �, et ton fouet. Je te vais caresser les c�tes de belle fa�on � coups de b�ton. Je ne sais si tu bouilliras, mais tu auras chaud.
Pois-Vert se mit sur-le-champs � pleurnicher.
-Eh! Mon bon seigneur, geignit-il, il n�y a pas de ma faute, c�est ma m�chante femme qui m�a dit de faire comme j�ai fait; je vous le jure.
Puis, s�chant subitement ses larmes, le dr�le se retourna vers Catherine.
-Maudite, vocif�ra-t-il, tu vois comme tu as irrit� ce bon seigneur qui va tourner sa col�re contre moi et me battre. Je suis rendu au boutte3 par tes mauvais conseils. Tu es le malheur de ma vie.
Avant que Bienassis ait pu intervenir, Pois-Vert avait saisi un couteau et l�avait plong� dans la poitrine de sa femme. Le sang coulait, inondait les v�tements de la malheureuse qui s��tait �croul�e par terre.
La col�re du seigneur �tait tomb�e dans ce drame rapide.
-Ah! Pois-Vers, s��cria-t-il, pourquoi as-tu fait cela? Voil� que tu vas t�attirer ben du d�sagr�ment et que tu es en passe d��tre pendu � c�t�heure.
-Vous croyez que je serai pendu?
-S�r et certain.
-C�est que je ne veux pas �tre pendu! Je m�arrangerai ben pour cela.
-Que feras-tu, Pois-Vert?
Le gaillard prit dans sa poche un sifflet, se pencha sur la femme �tendue, siffla trois fois et dit:
-Turlututu, reviendras-tu? La femme remua l�g�rement les doigts. Par trois fois, Pois-Vert siffla encore et pronon�a:
-Turlututu, reviendras-tu? Catherine remua bras et jambes.
-Regardez ben, mon seigneur, au troisi�me coup elle sera gu�rie. Il recommen�a son man�ge, r�p�tant:
-Turlututu, reviendras-tu? La femme ouvrit les yeux, se dressa sur son s�ant, se mit debout et retourna aux soins de son m�nage. On aurait jur� qu�il ne s��tait rien pass� s�il n�y avait eu ces traces de sang sur sa guimpe et sur le sol. Bienassis �tait profond�ment �merveill�.
-Pois-Vert, demanda-t-il, o� as-tu pris ce sifflet?
-Une vieille magicienne me l�a vendu. Il a pour vertu de ressusciter les morts quelle que soit la cause de leur tr�pas.
-C�est bien commode, remarqua le seigneur. Ne voudrais-tu pas me le vendre?
-Pour vous rendre service, je veux bien.
-Combien en exiges-tu?
-Ce qu�il m�a co�t�, pas davantage: deux cents piastres.
Bienassis versa l�argent, prit le sifflet et s�en alla. Il �tait bien aise de son achat. Un sifflet qui ressuscite les morts, �a peut toujours �tre utile.
� quelques jours de l�, se pr�senta chez Bienassis un de ses cr�anciers, homme grossier et mal poli. Le cr�ancier r�clamait de l�argent; le seigneur contestait le chiffre. Il y eut une dispute. Aveugl� par la col�re, Bienassis tira son �p�e et en transper�a le cr�ancier de part en part.
Lorsque le seigneur vit ce cadavre par terre, il en eut ben du remords, d�autant plus qu�il craignait que la justice ne lui demand�t des comptes. Il se souvint � propos du sifflet qu�il avait achet� � Pois-Vert. Ce sifflet �tait encore dans sa poche. Il le tira, siffla trois fois et pronon�a:
-Turlututu, reviendras-tu? Le mort ne fit pas mine de bouger.
� trois reprises, Bienassis renouvela la conjuration; le mort �tait toujours mort. Alors, il se mit � siffler � tort et � travers, � hurler des � turlututu � sans fin, tellement que des serviteurs accoururent et virent le tableau. Quand ils surent que le sifflet � ressusciter les morts avait �t� fourni par Pois-Vert, tous s�esclaff�rent malgr� la gravit� des circonstances.
-C�en est assez, gronda Bienassis. Je vais en finir avec ce sacr� gredin.
Le lendemain, sur l�ordre du seigneur, deux serviteurs se pr�sent�rent � la maison de Pois-Vert.
-Mon pauvre ami, dirent-ils � leur ancien compagnon, tu en as par trop fait. Nous avons le commandement de te fourrer dans ce grand sac et de te mener noyer dans la rivi�re. En m�me temps, ils d�ployaient un sac � sel. Pois-Vert se d�battit comme un beau diable:
-Je ne veux pas y aller, non, je ne veux pas y aller!, hurlait-il.
Les hommes �taient forts, Pois-Vert ch�tif; ils eurent vite raison de lui et le fourr�rent dans le sac. Puis, � eux deux, ils l�emport�rent dans la direction de la rivi�re. La rivi�re �tait loin. Pois-Vert, dans le sac, gigotait sans cesser de crier:
-Je ne veux pas y aller, non, je ne veux pas y aller!
Un sac, dans lequel se trouve un homme qui se d�bat, est un fardeau mal commode m�me pour deux gaillards solides. Il faisait tr�s chaud et les serviteurs du seigneur avaient grand�soif. Par bonheur, les choses sont ainsi, que le rem�de est souvent � c�t� du mal: sur le bord du chemin se dressait une auberge engageante. Les hommes d�pos�rent leur fardeau � la porte de l�auberge et entr�rent prendre un coup4. Pois-Vert, le malheureux, continuait � g�mir dans son sac � sel:
-Je ne veux pas y aller, non, je ne veux pas y aller!
Vint � passer un chenapan nomm� Finaud, qui �tait toujours � l�aff�t de quelque tour avantageux. Il vit le sac abandonn� et, son premier mouvement fut pour s�en emparer et l�emporter. Il recula �pouvant� lorsqu�il vit le sac s�agiter et qu�il entendit la voix qui en sortait:
-Je ne veux pas y aller, non, je ne veux pas y aller!
Revenu de son �motion, Finaud s�approcha du sac et le toucha.
-O� ne veux-tu pas aller, mon comp�re?, demanda-t-il.
-Eh!, riposta Pois-Vert, on m�emm�ne chez la princesse et on veut que je la marie. Moi je ne veux pas.
-Elle est riche, ta princesse?
-C�est la plus riche du pays.
-Veux-tu me donner ta place?
-Avec plaisir. Tu n�as qu�� d�tacher le sac.
Finaud s�ex�cuta. Il aida Pois-Vert � sortir. Avec l�assistance de ce dernier, il se glissa � sa place. Le sac re-ficel� avec soin, Pois-Vert, tout joyeux, d�campa.
Les serviteurs du seigneur, ayant fini de boire, quitt�rent l�auberge. Ils reprirent leur fardeau et remarqu�rent que leur pratique ne protestait plus.
-Tiens, dit l�un d�eux, il se tient ben tranquille!
-Probable, r�pliqua l�autre, qu�il a compris � c�t�heure qu�il ne sert de rien de se plaindre.
Ils arriv�rent ainsi � la rivi�re, � l�endroit o� celle-ci fait un coude et o� la berge est abrupte. Ils prirent le sac chacun par un bout, le balanc�rent en comptant un, deux, trois et le l�ch�rent. Le sac s�en alla tomber dans l�eau en faisant un grand plouf! Bienassis r�compensa ses serviteurs de l�avoir si bien d�barrass� du maudit dr�le qui lui avait jou� tant de vilains tours.
-Me voil� tranquille maintenant, il ne reviendra pas...
-Pour s�r, r�pliqu�rent les serviteurs. On ne revient pas ben souvent de l� o� il est � c�t�heure.
Apr�s d�ner, le seigneur �tait en train de prendre le frais sur la galerie lorsqu�il vit de loin s�avancer un troupeau de vaches. Le troupeau �tait si beau que Bienassis ne se lassait pas de le contempler. Un homme conduisait les b�tes, et le seigneur eut l�impression que c��tait Pois-Vert. Il appela un de ses serviteurs.
-Regarde donc, toi qui as de bons yeux; ai-je la berlue ou l�homme qui conduit le troupeau serait-il Pois-Vert?
-�a ne se peut pas, r�pondit le serviteur, puisque je l�ai jet� � l�eau de ma main.
-Regarde comme i�faut.
-C�est pas Pois-Vert. �a ne peut pas �tre Pois-Vert.
Le troupeau approchait toujours. Il allait passer au pied du ch�teau. L�homme qui le menait criait:
-Ourch! Mourche!
-C�est la voix de Pois-Vert, murmura Bienassis.
Ce n��tait pas que la voix de Pois-Vert, c��tait Pois-Vert lui-m�me et, lorsqu�il arriva tout pr�s du ch�teau, il leva son bonnet et salua poliment.
-Bonsoir, mon seigneur, cria-t-il.
-Comment, Pois-Vert, riposta Bienassis, c�est ben toi?
-Eh! oui, c�est ben moi.
-D�o� viens-tu donc avec ce beau troupeau?
-Ah! mon bon seigneur, ne m�en parlez pas! Vos serviteurs m�ont jet� dans la rivi�re en face de la saulaie et j�n�ai trouv� que ces b�tes � cornes que je ram�ne avec moi. Si seulement ils m�avaient jet� � cinquante pieds en amont vers les peupliers, c��tait autant de beaux chevaux noirs que je pouvais ramasser. Des chevaux comme il n�y en a pas dans la contr�e. Bienassis �tait tout �berlu�.
-Tu es s�r de ce que tu dis Pois-Vert?
-Je vous en donne ma parole, mon bon seigneur.
-Si j�y allais moi-m�me, crois-tu que j�aurais les chevaux?
-�a, je vous le garantis.
-Puisque tu as �t� par l�, voudrais-tu guider mes serviteurs?
-J�en serai ben aise.
Sur son ordre expr�s, ses deux serviteurs vinrent prendre le seigneur, le mirent dans un sac � sel et l�emport�rent vers la rivi�re. Pois-Vert conduisait la marche. Le cort�ge d�passa la saulaie, arriva aux peupliers.
-Voici l�endroit, dit Pois-Vert.
Les serviteurs prirent le sac chacun par un bout, le balanc�rent en comptant un, deux, trois et le l�ch�rent. Le sac alla tomber dans l�eau en faisant un grand plouf!
Le seigneur resta au fond de l�eau et Pois-Vert devint un riche commer�ant.
~ FIN ~
Soumis par : Karthav
Notes
�Goglu:
mauvais plaisant
�Piastres:
dollars
�Je
suis rendu au boutte: j�en ai assez
�Prendre
un coup: boire un coup