Un jour, alors que Catherine jouait tranquillement dans la court, elle trouva un petit oiseau esseul� qui n'�tait pas capable de voler ni de se nourrir seul. Elle alla donc chercher la vieille cage qui se trouvait � la cave et y d�posa le petit oiseau, en prenant soin de lui donner de l'eau et quelques graines. Puis, elle pla�a la cage dans sa chambre, sur le rebord de la fen�tre, et continua � le nourrir semaines apr�s semaines. Mais malgr� cela, le petit oiseau semblait toujours triste et ne chantait jamais. Catherine se dit que ce devait �tre dans sa nature et que, comme certaines gens, certains oiseaux pouvaient ne pas aimer chanter et avoir constamment la mine basse. � partir de l�, elle ne fit plus de cas de son air attrist�.
Par un beau soir d'�t�, Catherine d�cida d'aller se promener comme elle avait l'habitude de le faire quand le temps �tait doux. Il soufflait un vent l�ger et chaud comme le sud, et Catherine adorait sentir ses boucles ch�taines flotter derri�re elle. L'air �tait si bon, qu'elle marcha beaucoup plus longtemps et beaucoup plus loin qu'� l'ordinaire, sautant �a et l� sur le trottoir comme s'il s'�tait agi d'une marelle. Elle marcha et sautilla tant et si bien qu'elle se laissa surprendre par la brunante; c'est alors qu'elle d�cida de rebrousser chemin. Mais la noirceur tombait tr�s vite et la rue se d�sertait d�j�; bient�t, il fit nuit.
Lorsqu'elle passa devant le studio du photographe, Catherine remarqua qu'une nouvelle enseigne venait d'�tre pos�e juste au-dessus de la porte. Le photographe et son appareil sorti tout droit d'une �poque que Catherine ne connaissait pas y �taient repr�sent�s tout en couleur, avec des dorures et des bas-reliefs. C'�tait une v�ritable oeuvre d'art et on sentait que l'artisan qui l'avait fabriqu� y avait mis beaucoup d'amour et beaucoup de talent. Tout �tait d'un tel r�alisme, qu'on eut cru que c'�tait le v�ritable photographe qui se trouvait l�, tout souriant, fig� sur l'enseigne de bois. Catherine ne pu s'emp�cher de s'arr�ter pour contempler le chef-d'oeuvre.
Soudain, un �clair l'aveugla. Elle resta �blouie pendant quelques secondes mais, au travers des milliers de petits soleils qui avaient envahi sa vision, elle finit par distinguer une forme humaine qui se dressait devant elle. C'�tait le photographe qui venait de sortir de l'enseigne et qui la regardait en souriant gentiment. "Bonsoir Catherine! Aimerais-tu que je te prenne en photo?", demanda-t-il � la fillette, qui restait l�, bouche-b�e et les deux bras pendants. "Be... bien, pou... pourquoi pas!", finit-elle par b�gayer. Puis elle prit la pose et se mit � sourire de toutes ses forces.
Le photographe empoigna alors sa petite poire, s'enfouit la t�te sous son drap noir et pointa son appareil vers Catherine. Puis, il dit: "Attention! Le petit oiseau va sortir!" Et il y eut encore un �clair. Apr�s quelques instants � n'y voir que du blanc, Catherine recouvra enfin la vue. Mais quelle ne fut pas sa surprise de constater � ce moment qu'aucun oiseau n'�tait sortit de l'objectif, ni d'aucune autre partie de l'appareil-photo. En fait, ce qui �tait sorti de la vieille antiquit�, c'�tait une grenouille. "Une grenouille?, s'exclama-t-elle avec d�ception, mais vous m'aviez dit que ce serait un petit oiseau!" "Je suis confus, r�pondit le photographe dont le visage �tait tout � coup devenu rouge de g�ne, je ne comprends pas ce qui a pu se passer. Refaisons une autre photo; cette fois, tout devrait bien aller." Il empoigna de nouveau sa petite poire, s'enfouit une seconde fois la t�te sous son drap noir et dit: "Attention! Le petit oiseau va sortir!" Encore un �clair.
Mais cette fois-ci Catherine ne fut pas �blouie: la petite rus�e avait ferm� les yeux juste avant que le phosphore ne s'enflamme. Elle se d�p�cha de les rouvrir et vit avec �tonnement qu'une autruche �tait en train de surgir de l'objectif. "Mais qu'est-ce que tout cela signifie!, s'�cria Catherine, depuis quand des grenouilles et autruches sortent-elles d'un appareil-photo. Et pourquoi pas des �l�phants tant qu'� y �tre." Le photographe ne savait o� se mettre la t�te tant il se sentait mal � l'aise; s'il avait �t� une autruche, il se la serait enfouie dans le sable, mais comme il �tait photographe, il pensa qu'elle serait mieux sous son drap noir. Il proposa donc � Catherine de faire un nouvel essai, le bon cette fois. Catherine, incr�dule, accepta. Mais elle prit soin de prendre quelque peu ses distances, appr�hendant ce qui pourrait bien sortir de l'appareil cette fois-ci.
Le photographe se cacha donc la t�te sous son drap, poussa un timide "Attention! Le petit oiseau va sortir!", puis il appuya sur sa petite poire. Un �clair... et une autre surprise. En fait, une demi-surprise. Catherine avait parl� d'�l�phants, et c'est exactement ce qui �tait sorti de l'appareil: un gros �l�phant d'Afrique. "D�cid�ment, cet appareil ne fonctionne pas comme il devrait, s'esclaffa Catherine. Ne serait-ce pas mieux avec un mod�le plus r�cent?" "Mais non! Mais non!", r�pondit le photographe, qui commen�ait lui aussi, mais sans oser le dire, � douter de son appareil. "Le m�canisme doit �tre un peu rouill�", proposa-t-il sans trop y croire lui-m�me. "Refaisons quelques essais", ajouta-t-il. Catherine, qui commen�ait � bien s'amuser � voir toute cette faune sortir d'un si petit orifice, accepta avec joie.
Ils firent et refirent plusieurs tentatives. Mais � chaque fois, un animal diff�rent surgissait de l'appareil: tant�t un petit, tant�t un gros, tant�t poilu, tant�t couvert d'�cailles. Il sortit tant d'animaux que bient�t tout le quartier fut envahi; il y en avait presque assez pour remplir une demie arche de No�. Mais toujours pas la moindre trace du fameux petit oiseau.
Bien qu'elle se soit amus�e au d�but, Catherine finit par trouver l'exercice un peu lassant, et d�cida qu'il valait mieux qu'elle aille se coucher. D'ailleurs, il n'�tait pas sage, ni prudent pour une fillette de son �ge, de rester dehors jusqu'� une heure aussi tardive. Aussi, se fraya-t-elle tant bien que mal un chemin au travers des miaulements, des croassements, des barissements, des gloussements et de tous ces �tranges cris d'animaux qui remplissaient depuis peu l'obscurit�. Apr�s avoir jou� du coude pendant quelques minutes, elle atteignit enfin l'or�e de cette jungle animale, et pu reprendre la route en direction de sa demeure. Mais � peine avait-elle fait quelques pas que, soudain, plus un bruit! Elle jeta un coup d'oeil derri�re elle et ne vit rien d'autre qu'une rue compl�tement d�serte: tous les animaux avaient disparu et le photographe avait regagn� sa place sur l'enseigne de bois.
Le lendemain matin, lorsqu'elle se r�veilla, Catherine jeta tout de suite un oeil sur la cage de son petit prot�g�. Le petit oiseau affichait toujours la m�me triste mine qu'avant et n'�mettait pas plus de sons qu'au premier jour o� elle l'avait enferm�. Catherine se leva, prit la cage et l'emporta sur le balcon, o� elle la d�posa d�licatement. Elle ouvrit la petite porte, retourna � l'int�rieur, et observa l'oiseau au travers de la fen�tre. Sans m�me faire attention � elle, le petit oiseau sortit, et s'envola en chantant.
� 1997, Jean-Pierre Tanguay, tous droits r�serv�s.